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le blog de Clémentine Adret
9 juin 2018

monologue d'un banc public

L'orage gronde et retient son eau. C'est l'heure des mouches, qui volent bas et qui picorent joyeusement une tache de ketchup abandonnée là sur ma planche médiane. C'est l'heure des mouches qui piquent et me donnent envie qu'on me gratouille ici et là. L'air chaud est lourd de pluie qui ne tombe pas. Voici le facteur qui va faire sa pause en posant son vélo contre moi. Il sent bon le facteur, depuis qu'ils ont des vélos électriques. Son parfum n'est plus concurrencé par la sueur. Tiens je constate qu'il a grossit, mes planches ploient sous son fessier. Ou serait-ce moi qui fatigue. Remarquez, 50 ans à soutenir des derrières, à supporter des pieds parfois lorsqu'ils s'assoient sur mon dossier. Oh bien sûr on m'a changé les planches, repeint les parties métalliques. Mais la fatigue est là. La fatigue morale surtout. Bah oui j'éponge et j'aspire les émotions de ces gens, j'empathise et j'en pâtis. Tiens, ce facteur par exemple qui pense tout seul et bien moi je sais à quoi il pense rien qu'à la façon dont il repose sur le bout de la planche de devant. Là, il se dit qu'il est en retard pour sa tournée... toujours la même rengaine. Avec la pression qu'on leur met et le manque d'effectif, rien d'étonnant à cela. Ah ça y est il se lève et récupère son vélo. Maintenant c'est au tour de Charles. Je le sens qui s'approche. Encore un qui ne s'assoit que du bout de la fesse. Qu'est ce qu'ils ont aujourd'hui ? Ah oui, c'est vrai le ketchup. Charles, lui, repense à une femme qu'il aurait aimé séduire, mais tout marié qu'il était il n'a pas osé. Je devine que c'est loin dans le temps, mais il regrette de ne pas avoir tenté le coup... surtout depuis que sa femme a Alzheimer. Et tous les mardis il passe ici dans ce parc à chiens et à joggeurs. Le mardi c'est son jour de repos, lorsque l'infirmière passe voir sa femme il s'en va, il sait qu'une aide-soignante prendra le relais. Tiens un joggeur ! Il pose son pied sur mes planches. Malotru ! Il refait son lacet et puis reprend sa course. Charles me quitte, il continue sa promenade. Comme j'aimerais parfois m'arracher à cette terre compacte grêlée de cailloux, suivre mes passagers éphémères, en apprendre davantage sur eux, les écouter raconter leur vie. D'ici je n'en ai que des échantillons, des bribes d'existence, des fragments d'histoire, des particules de destinée. Mais hélas, mes pieds sont séquestrés dans des blocs de béton, et l'on ne m'a point pourvu de roulettes...

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Commentaires
1
Un texte bien agréable : un banc qui pense et il en a à penser. Merci<br /> <br /> Moi, je raconte aussi des histoires de placard par exemple<br /> <br /> Amicalement - daniel
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